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LA FRANCE ET L’AFRIQUE : SAUVER L’ESSENTIEL

De toutes les grandes puissances mondiales, la France apparaît comme celle qui est censée mieux connaître l’Afrique. Elle y a une longue tradition de présence et d’interventions militaires, une politique de promotion culturelle dynamique, un réseau diplomatique dense, une proximité parfois au-delà du raisonnable avec les dirigeants francophones, etc.

Cependant, faute d’avoir su s’adapter à l’évolution des sociétés africaines, connectées au monde par le biais des technologies numériques, particulièrement les réseaux sociaux, la France risque de perdre durablement ses privilèges sur le continent. Ce grand pays de l’histoire et de la diplomatie, étonnamment, n’a pu lire les signes annonciateurs de l’émergence d’une nouvelle génération d’Africains, sans liens émotionnels avec l’ancien colonisateur. Contrairement à leurs aînés, ceux-ci ont étudié et été formés pour la plupart, y compris les officiers de l’armée, ailleurs qu’en France.

« La Méditerranée traverse la France comme la Seine traverse Paris », la capitale, titre du roman de Mohamed Abdallah. C’était avant 1962. Après l’indépendance conquise par l’Algérie, dans la douleur, la Seine traverse toujours Paris, mais la Méditerranée ne traverse plus la France. Elle est devenue sa frontière sud. Une très vaste partie du « territoire national » a été perdue, avec d’importantes ressources naturelles dont le pétrole. Toute une leçon de l’histoire de la colonisation française en Afrique ! L’Algérie faisait l’objet d’une colonie de peuplement, avec la volonté de s’y établir définitivement, comme dans l’ensemble de l’Afrique blanche, l’Afrique du Nord. La suite, on la connaît.

Revenons à l’Afrique noire, l’Afrique subsaharienne, objet de colonie d’exploitation, marquée par la rente, sans réelle volonté d’y apporter le développement, une sorte de prolongement déguisé des comptoirs coloniaux. Après les indépendances, la politique de coopération s’est inscrite dans une logique d’unilatéralisme sous une forme de multilatéralisme ou de bilatéralisme de façade. La France n’est pas suffisamment entrée dans une dynamique de partenariat fondé sur le respect réciproque et la recherche d’intérêts mutuels. Le ministère de la Coopération, outil d’aide au développement, perdra progressivement de son utilité, pour finalement être supprimé en 2007. Alors qu’on aurait pu le réorganiser, élargir ses missions, pour en faire un ministère du Développement international, avec une priorité accordée à l’Afrique et particulièrement l’Afrique francophone.

Des frustrations sont donc nées de ces changements intempestifs et surtout d’attitudes souvent désobligeantes. Même le Président Félix HOUPHOUËT-BOIGNY, fidèle parmi les fidèles amis de la France s’en était offusqué ouvertement. À partir de 1981, paradoxalement avec le pouvoir socialiste, incarné au ministère de la Coopération (et du Développement ?) par Jean Pierre Cot, une réorientation du partenariat franco-africain dessert visiblement l’Afrique francophone, au profit des pays anglophones. Le ministre va même jusqu’à déclarer : << Un franc français investi doit rapporter trois francs à la France >>. Les pays francophones se sentent ainsi marginalisés et méprisés. Les réformes successives de la coopération fixaient des règles de conditionnalité de nature à mettre les pays bénéficiaires en difficultés permanentes. Il en est ainsi du Discours de La Baule par exemple, consistant à lier l’aide au respect de la démocratie et de l’État, sans que tout cela ait été préparé et mis en œuvre avec méthode. Les « Conférences nationales « issues de cette vision ont principalement eu pour effet de déstabiliser les États. Les mesures visant les étudiants étrangers vivant en France n’ont certainement pas été de nature à susciter un engouement des jeunes Africains vers l’hexagone.

Or ,la jeunesse, facteur de changement, reste au cœur de toutes les évolutions dans toutes les sociétés. Des décennies plus tard, le malaise apparaît, voire les incompréhensions, le fossé, le différend, le conflit, avec des conséquences considérables sur l’équilibre des relations avec l’Afrique. Phénomène irréversible ? Du général de Gaulle au Président Emmanuel Macron, que de péripéties ! Le Quai D’ORSAY avait ses repères, ses procédures et ses subtilités. Une certaine langueur gagne de plus en plus le Corps. La dilution des responsabilités internationales de la France dans un bloc européen impersonnel, sans considération des données historiques majeures, est à analyser.

L’espoir de reprendre la main est possible, dans la sincérité des intentions et avec des acteurs inspirant plus la confiance, jouissant d’une légitimité sur le continent. L’Afrique a beaucoup souffert et souffre encore des agissements de pompiers pyromanes et de flibustiers des temps nouveaux. Les relations devraient se situer aujourd’hui dans une phase évolutive d’approfondissement, pour promouvoir et renforcer le triptyque Sécurité-Démocratie- Développement. Il conviendrait donc, en urgence, de réinventer les outils de la reconquête de la jeunesse africaine. Ne rien faire, ne pas agir ou réagir serait sans nul doute suicidaire. Le champ des possibles peut s’ouvrir, en tirant les enseignements du passé. Il faut agir, dans une approche d’engagement déductif, avec méthode et discernement, pour redynamiser le partenariat entre deux réalités humaines vivantes à comprendre, la France et l’Afrique, intimement liées par la géographie et par l’histoire. Au-delà de la France, c’est l’Europe occidentale dans son ensemble qui est en réalité menacée.

Sans perdre de vue les enjeux globaux dans les relations internationales pour chaque État, la diplomatie, de nos jours, pourrait s’inspirer utilement de la vision du Président Woodrow Wilson des États-Unis d’Amérique, pour la mutualisation, << la mise en commun des efforts pour des objectifs communs >>, en vue d’un monde meilleur. La Realpolitik commande de privilégier l’intérêt national. Malgré tout, il reste possible et plus que jamais nécessaire de tendre vers << un droit international fondé sur une notion claire de ce que réclament le cœur et la conscience de l’humanité >> (Président Wilson). L’histoire est un enseignement.

11 novembre 2023

Pierre AYOUN N’DAH

Docteur en Droit public

Ancien professeur à l’ENA d’Abidjan

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